Lundi
9 octobre 2017
Cathédrale
de Moûtiers
Homélie
(1
Jean 3, 14.16-20
Ps 22 Mat 5, 1-12)
Un
ami du Père Marcel Perrier, éloigné de l’Eglise, nous a laissé
cette phrase tout à l’heure : « La dignité que tu m’as
enseignée m’a fait humain parmi les humains. »
Marcel
Perrier avait le don de toucher le cœur de tous, parce qu’il
partait de ce que nous sommes humainement pour nous indiquer un
chemin vers ce que nous pouvons être. Par exemple, il disait :
Avoir,
non pas pour accumuler mais pour partager
Savoir,
non pas pour éblouir mais pour éclairer
Pouvoir,
non pas pour dominer mais pour servir
Valoir,
non pas pour paraître mais pour être
Croire,
non pas pour limiter l’homme mais pour le grandir.
Il
était soucieux de voir l’humain épanoui et non avili, dans le
travail ou les conditions de vie.
Il
était soucieux de voir les plus petits reconnus et capables de
prendre leur place dans la construction de la société. En cela, il
était bien le disciple du Dieu fait homme venu partager notre
commune humanité pour l’habiter de sa présence et la libérer.
En
homme de la montagne, il nous conduisait de notre modeste vie de tous
les jours jusqu’aux cimes de notre humanité. « Le
Ressuscité, le premier de cordée, nous encorde vers le mont des
Béatitudes ».
De nos deuils, de nos abandons, de nos échecs, de nos déceptions,
il nous permettait de sortir par le haut, par l’espérance ouverte
par le Ressuscité. Souvent pessimiste
par
tempérament, il était bien habité par la grande espérance du mont
des béatitudes.
Heureux
ceux qui ont un cœur de pauvre, disait-il,
ceux qui acceptent leurs limites et acceptent d’être aidés.
Heureux
les doux, ceux qui n’ont pas choisi la violence, mais la douceur,
la patience.
Heureux
ceux qui pleurent, signe qu’ils ont du cœur.
Oui
nous arriverons à la fête, au bonheur accompli ; Dieu nous
fera la grâce d’y arriver.
Ses
responsabilités, en particulier comme vicaire général, puis comme
évêque, il les a exercées comme une façon de mettre l’Eglise au
service de l’homme, une Eglise invitée par Paul VI à se faire
« conversation ».
Il
était lucide, voire critique, sur ce qui dans l’Eglise n’est pas
à la hauteur de l’Evangile, tout en
permettant aux non chrétiens, et aux chrétiens, de trouver de
l’intérêt au message de l’Evangile.
On
pourrait lire ces mots qu’il a écrits pour dire la foi, comme une
charte du responsable, en Eglise comme dans la société :
Proposer sans
imposer, en dire assez sans en dire trop, éclairer sans éblouir,
enseigner sans endoctriner, accompagner sans dominer, conseiller sans
humilier.
Son
expérience de berger le mettait probablement sur le chemin du Bon
Pasteur.
Poète,
il savait faire chanter et danser les mots, y compris ceux de la
Bible. Il me dit un jour : « L’épreuve, c’est pour
faire ses preuves. » Plus qu’un jeu de mots, c’est le jeu
de la vie qui est là et je l’ai expérimenté. Alors que je
rentrais à Moûtiers, encore mal remis d’une chute grave, il
m’écrivit un mail dont chacun des mots a résonné en moi:
« Bienvenue à Moûtiers. La présence compte autant que le
travail. » Je me suis dit que cela était vrai pour toute vie,
en particulier celle du prêtre. Si les mots qu’il employait
« faisaient souvent tilt », c’est que l’écriture
poétique n’est pas seulement une belle façon de dire les choses,
elle réveille l’âme, car la beauté est un chemin d’espérance,
réveillant ce qu’il y a de beau en l’homme. Et l’on peut lire
dans cette beauté la marque du Créateur.
Il
s’est donné jusqu’au bout, malgré la souffrance ; il
signait ainsi, par la façon dont il a vécu les derniers mois, toute
une vie de prêtre habitée par le don de sa vie aux gens qu’il
rencontrait. En cela il rejoignait à nos yeux le chemin de son
Maître. « Fermez
les yeux sur mes
faux pas, oubliez-les »
avons-nous entendu tout à l’heure. L’amour du Christ qui
l’habitait emporte avec lui tous les faux pas. Il rejoint son
Seigneur, et les bruits de la fête du Royaume dont il a tant rêvé
avec les Béatitudes lui indiquent le but du voyage. Je l’imagine
bien discuter avec Jésus-Christ sur les questions de l’Eglise et
du monde, en essayant de le faire sourire, tout en continuant à se
soucier de ceux qui ne connaissent pas encore cette grande espérance,
cet accomplissement de l’humanité.
P.
Pierre Viale